Nous avons eu le plaisir de rencontrer le duo Russe le plus en vogue de ces dernières années dans leur loge, quelques heures avant leur passage sur la scène du Bikini. Les nouveaux résidents Toulousains avaient pour mission de clôturer cette magnifique soirée Gleam -sixième du nom-, après un set exceptionnel de 3h offert par Camo & Krooked, le tout sublimé par les visuels léchés de Kasaey.
(Spoiler : ils ont tout cassé)
Evgenii = Concept Vision | Igor = Segment
Salut les gars et bienvenus ! Même si c'est déjà la troisième fois que vous venez jouer ici au Bikini.
Evgenii : A vrai dire, pour moi c’est une première ce soir ! Les deux précédentes c’est Igor qui était venu jouer ici. Une première fois en 2017 pour présenter le projet de Synergy [ils officiaient encore alors sous le nom de Segment & Concept Vision] et ensuite en 2019 ouais.
Je découvre donc ! Mais nous sommes descendus sur le dancefloor à notre arrivée et il faut reconnaître ce que l’on dit sur Le Bikini, le son est juste incroyable. On a hâte de jouer nos tracks sur ce soundsystem, avec un VJing totalement fou en plus de ça !
Igor : Ce qui m’a aussi marqué ici c’est la ferveur du public, qui reste pour te supporter jusqu’à la fermeture du club. Nous sommes excités de pouvoir nous y produire enfin ensemble, et en closing !
C’est un peu une spécificité française : le closing est un des moments les plus attendus par le public.
Oui c’est vraiment appréciable de voir les gens autant déterminés malgré l’heure, et bien sûr ça nous donne de l'énergie !
Revenons un peu à vos débuts, comment vous êtes vous rencontrés ?
On s’est rencontrés par internet, comme beaucoup de producteurs de nos jours. A l’époque je m’appelais Twisted Facts et Igor c’était Z Connection, nous collaborions régulièrement respectivement avec Brain Crisis et Andy Pain. Tout est parti d’un échange de dubplates. Notre style de l’époque était bien plus axé “deep & dark drum&bass”. Nous avons produit une première track sans prétention, qui n’est jamais sortie, mais on a senti qu’on tenait quelque chose alors il apparaissait clair que nous devions continuer de collaborer pour cette fois essayer de sortir d’autres tracks ensembles. Et c’est comme ça que ‘Deserted’ a vu le jour.
On la retrouve d’ailleurs dans votre premier EP, Meteor sorti sur Blackout. C’est allé très vite !
Oui c’était seulement la dixième release du label et cela nous a directement mis dans le bain.
C’est fou ! Vous arrivez juste après des gars comme Audio, Neonlight ou State Of Mind pour ne citer qu’eux..
Telekinesis et Optiv & BTK aussi. Tous ces grands noms qui nous ont inspirés pour créer cet EP. C’était incroyable. Pour la petite histoire, ce devait être une sortie deux titres sur Bad Taste, mais Micha de Black Sun Empire a entendu les titres dans des mixs de Jade, et alors il a tout fait pour que nous lui proposions un EP complet de 5 titres. Et après réflexion, c’est sur les conseils de Teddy Killerz que nous avons accepté le challenge. Donc merci encore à eux et Blackout pour leur confiance, car tout part de là pour nous.
Ce son brutal et impactant, à l’image de ce que pouvaient faire des gars comme Mefjus ou Emperor à la même époque, sera ensuite votre marque de fabrique pour les EPs qui suivirent en tant que Segment & Concept Vision. Aviez-vous déjà une idée, un but à atteindre ?
Non pas vraiment, nous voulions simplement faire de la musique ensemble et arriver à donner le meilleur de nous-même. Nous ne calculons pas si tel ou tel morceau va marcher ou pas. Ça a donné deux EPs sur Eatbrain dont nous étions fiers aussi. Mais prendre du plaisir a toujours été le mot d’ordre pour nous.
Puis vient le moment de la fusion totale. Quel a été le déclencheur pour lancer Synergy ?
Nous regrouper sous un unique nom, qui a une forte signification, c’était pour nous l’idée de se dire que nous étions liés et que nous nous aidions mutuellement pour y arriver. Comme pour ne former qu’un. On n’a pas choisi “Synergy” parce que c’est un nom qui claque.
Et ça ne se résume pas qu’à la musique. Dans la vie de tous les jours, je sais que si je l’appelle à 3h du matin pour un problème perso, il sera là pour me guider, me rassurer et m’aider. Et je ferai pareil pour lui dans le cas inverse
Une vraie ‘bromance’ !
Ahaha on peut dire ça comme ça oui ! On est fusionnels.
Et ce malgré la distance ..
Oui nous vivions jusqu’à présent à plus 2000km l’un de l’autre (Igor à Saint-Petersbourg et Evgenii à Ekaterinbourg). Nos sessions se faisaient donc presque exclusivement par Skype. Pour être précis, nous ne nous sommes vu que quatre fois pour bosser en studio, et seulement deux fois pour jouer en DJ set ensemble !
Vous êtes donc des amis mais qui jusqu’à présent ne se voyaient que pour le travail en quelque sorte. A quel moment vous vous êtes dit que cette situation vous permettrait de fonder un projet solide en commun ?
On se saurait dire précisément mais la première date européenne ensemble a marqué notre histoire. C’était à Amsterdam en 2016 pour une afterparty du Let It Roll avec un line up monstrueux. On s’est retrouvé à jouer dans une ville magnifique, aux côtés d’artistes de légende, avec un hôtel pour nous pour trois jours. Nous avons réalisé à ce moment-là que cette expérience, nous voulions la poursuivre et la reproduire ensemble.
Et maintenant vous voici fraîchement débarqués à Toulouse, et pas que ce soir, pour vous y installer ! Comment cela s’est-il organisé ?
Ce départ de la Russie a été une remarquable épopée avec son lot de questionnements personnels et professionnels. Ça n'a pas été simple administrativement parlant mais nous y sommes arrivés ! Nous devons ce dénouement à notre manager, Thibaud [ndlr : OHLALA Productions et Get In Step], sans qui cela n’aurait pas été possible.
Toulouse est renommée pour son bon vivre et sa culture de la DNB. Elle reste abordable et à taille humaine, tout en ayant les avantages d’une grande ville européenne.
La situation en Russie se durcit de plus en plus, et nous tenons à nous désolidariser de toutes les actions menées par le gouvernement.
Pour revenir sur Synergy, il est indéniable que votre musique a progressivement évoluée, passant d’une neuro très banger et agressive, vers une neuro plus mélodique et chirurgicale.
A vrai dire, on ne classerai même plus notre musique comme “neurofunk”. Nous ne cherchons d'ailleurs pas à rentrer dans une case précise. La techno mélodique nous inspire beaucoup actuellement, avec la progression et les émotions que cela provoque.
Zombie Cats a récemment twitté à ce propos, déclarant que la neurofunk en tant que telle était morte depuis de nombreuses années, mais précisant que cette “post- mordern neuro” était très intéressante à suivre.
On ne se permettrait pas de parler à leur place, mais en effet nous les rejoignons dans l’idée. En tout cas, de notre côté, c’est fini. Nous n’en produisons plus et nous n’en écoutons plus car ça ne nous fait plus vibrer.
Bien sûr nous continuons à jouer quelques tracks à nous ou quelques classics dans nos sets mais ça s'arrête là. Il y a cependant d’excellent producteurs qui continuent à sortir de Drum&Bass qui matchent encore avec le terme neurofunk.
Au fil du temps et de vos nombreuses sorties, vous avez signé sur beaucoup de labels différents (RAM, Viper, Eatbrain, Blackout, DIVIDID, Vision et plus encore…). Mais sans pour autant avoir de contrat d’exclusivité avec l’un d’entre eux. Est-ce pour vous une volonté de garder cette forme de liberté ? Ou l’opportunité ne s’est-elle simplement pas encore présentée ?
Il s’agit vraiment d’une volonté de se laisser le choix et de pouvoir saisir les opportunités quand elles se présentent et avec qui. Cela permet de se caler sur la vision d’un label le temps d’une release sans pour autant se retrouver bloqué pour la suite. Par exemple, quand RAM nous propose de remixer DC Breaks, il y a un challenge. De même pour le dernier remix pour Noisia. Ce qui ne nous empêche pas de sortir des sons sur Pilot. ou NEÜ entre temps.
Vous avez aussi ouvert votre chaîne Patreon, sur lequel vous partagez certains tricks de production mais aussi des tracks exclusives, parfois plus expérimentales, et ce dès le début de la pandémie. Comment vous est venu l’envie de vous lancer dans ce projet ?
C’est une question intéressante et un peu piège. On ne peut pas mentir sur nos motivations.
Les temps s'annonçaient difficiles pour nous, et pour toutes les personnes du milieu. Notre musique et nos dates sont nos seules sources de revenu. Alors face à cela il nous fallait une alternative pour continuer à faire notre métier, certes sous une forme un peu différente, mais tout en poursuivant notre passion. Ajoutez à cela un travail de traduction qui nous prend pas mal de temps, car contrairement à une majorité de producteurs, nous nous exprimons en Russe et pas en Anglais.
Nous y avons pris goût et nous continuons encore aujourd’hui à nous occuper du Patreon car cela nous permet d’avoir un lien direct avec les gens qui nous suivent. Et ça nous sert aussi de labo “tests” en y mettant des titres qui sortent de ce que nous proposons, jusqu’à présent.
On peut donc dire que c’est un savant mélange entre réelle nécessité et vrai intérêt musical qui nous a poussé à le faire. Et nous ne le regrettons absolument pas !
Côté création, vous dégagez une esthétique forte, assez froide et épurée. Est-ce que vous avez pensé à décliner cela sur d’autres formats que la musique ?
C’est vrai que de plus en plus nous aspirons à vouloir affirmer notre vision de la musique que nous faisons et ce qui va, ou pourrait aller autour. Mais ça reste compliqué de le faire valider par les labels car ces derniers ont en général déjà leur direction artistique.
Pour pallier cela, l’idée de lancer nous-même un label indépendant fait son chemin, mais nous n’avons encore rien lancé. L’avenir et la motivation nous y mèneront probablement..!
Peut-on s’attendre à entendre de nouveaux sons de vous dans les mois à venir ?
Pour le moment nous pouvons vous annoncer la sortie imminente d’un single sur Sleepless, le label de Wilkinson et nous sommes super fier de le présenter car il s’agit déjà de notre second single sur son label, et c’est typiquement le son que nous cherchons à produire et à proposer en ce moment ! Elle s’appelle "Obsession", la sortie est prévue pour le 17 juin.
Pour le reste, beaucoup de choses sont à venir mais on vous les dévoilera plus tard !
Alléchant ! Un dernier pour les lecteurs de DNB France ?
Igor : “Salut ! Comment ça va ?”
Evgenii : Je ne connais pas encore vraiment de mot en français mais je voudrais remercier toutes les personnes qui nous suivent et nous supportent. Que ce soit via notre Patreon, en streamant ou achetant nos tracks et aussi en venant nous voir jouer en club. Donc “merci” pour votre accueil et votre bienveillance !
Un grand MERCI à Synergy pour ce moment d’échange et leur disponibilité, ainsi qu’à leur agent Thibaud Moussel et l’équipe de Regarts Asso d’avoir permis la tenue cette interview.
Propos recueillis et traduits par Damien ‘Dibby’ et Thomas ‘Void One’.